Entretien avec la fondatrice de Portrait Sonore
Entrevue de Gabrielle Lapointe et Sylvain Brehm
Portrait Sonore est une application qui propose de découvrir l’architecture et l’histoire d’une ville à l’aide de « balades sonores », c’est-à-dire des balados à écouter durant une promenade dans un lieu d’intérêt. Parmi leurs projets, on retrouve une balade accompagnée d’une trousse pédagogique pour le primaire. Nous nous sommes entretenus avec la fondatrice de ce projet, Sophie Mankowski.
Comment l’idée de Portrait Sonore a-t-elle vu le jour?
J’ai travaillé comme architecte pendant plusieurs années et, en parallèle, j’étais sur le conseil d’administration de l’organisme Docomomo Québec, dont le siège est à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est un organisme international, mais il a un chapitre québécois. Le mandat était la documentation et la conservation du mouvement moderne en architecture. Il s’agit d’une architecture novatrice qui s’est développée entre les deux guerres mondiales. Ce type d’architecture peut être mal apprécié. Grâce à cet organisme, il y avait beaucoup de sensibilisation et de diffusion. Je me suis rendue compte, en travaillant dans cet organisme, que le discours était accessible aux spécialistes, mais pas nécessairement au public. J’avais envie de rendre ces réflexions plus accessibles. Nous avons produit un guide papier pour faire découvrir le patrimoine moderne de Montréal et également de l’Estérel. Mais je me suis dit que ce guide n’était pas suffisant parce qu’il ne rendait pas justice à toute la complexité et la richesse qu’un bâtiment peut avoir. Pour rendre l’expérience plus riche, rien de mieux qu’une balade sonore! De là est venue l’idée des « portraits sonores ».
Portrait Sonore propose une véritable expérience multisensorielle. Il y a la musique, le toucher, les paroles. Est-ce qu’en créant les balados, vous réfléchissiez à ces aspects qui sont plus subjectifs?
Oui, c’était réfléchi. L’idée de départ était d’apprendre. Apprendre aussi par le corps. Selon moi, lorsque l’apprentissage passe par le corps, il est plus profond et l’on comprend mieux. Dans la narration des balados, il y a aussi un grand souci des mots. J’essaie de voir comment créer un langage poétique. Un langage qui incitera l’auditeur à observer, à extraire des éléments du paysage et à rendre le tout beau. En plus de la narration, il y a de la musique. J’ai demandé à mon collègue Antoine Bédard de traduire musicalement les caractéristiques des bâtiments. Je lui donne des fiches architecturales des bâtiments, et lui, à partir de ces fiches, voit quelle trame sonore pourrait correspondre au lieu. Donc, avec la musique, la narration et le bâtiment devant nous qui s’arriment ensemble, il est vrai que cela crée une expérience multisensorielle.
Avec quelle équipe avez-vous entamé le projet de Portrait Sonore?
Après avoir eu l’idée des balados, j’ai commencé en 2013 à titre d’architecte en allant chercher des bourses au Conseil des Arts du Canada pour un premier projet Montréal Moderne et ensuite un autre projet sur l’Expo 67. J’ai demandé à Antoine Bédard, concepteur sonore et musicien, qui avait justement composé la musique des deux premiers projets et fait le montage de ceux-ci, s’il voulait se joindre à moi pour la fondation du nouveau projet, Portrait Sonore. J’ai aussi demandé à celui qui a fait le graphisme pour les deux premiers projets, Serge Rhéaume, s’il souhaitait se joindre à l’équipe. Nous avons donc co-fondé Portrait Sonore en 2013. Par la suite, je leur ai partagé mon envie de rendre ce projet pan-canadien. Nous sommes allés décrocher des bourses, surtout grâce au Conseil des Arts du Canada qui nous a permis de réaliser ce projet dans sept villes canadiennes différentes, ce qui a été énorme et fantastique pour nous lancer. Ça s’est déroulé de 2013 à 2017. En plus de la conception musicale, Antoine faisait également la voix des balados en anglais et en français. Serge, quant à lui, a vraiment travaillé sur l’aspect graphique de l’application, qui est vraiment magnifique. Ensuite, il a proposé d’aller chercher d’autres illustrateurs pour diversifier. La même chose s’est produite au niveau de la plume. C’est toujours moi qui écrivais et on s’est dit que ce serait intéressant d’aller chercher d’autres écrivains. Par exemple, dans le cadre du projet Michel Tremblay, c’est Marie-Ève Desjardins qui a écrit. Elle est professeure de littérature au Cégep de Saint-Jérôme.
Aviez-vous un public cible en tête pour les balados de Portrait Sonore?
Non, il n’y avait pas de public cible au départ. Il y avait des informations que j’avais envie de partager, donc je les partageais. Ce que je disais, c’est que les balados étaient pour des amateurs d’architecture, d’art, de musique et d’expériences. Ils s’adressaient aux gens qui veulent découvrir leur ville, même aux touristes avertis qui cherchent des expériences inédites. Ça s’adressait surtout à un public adulte et à des citoyens canadiens plus qu’à des personnes extérieures. Il y a quand même beaucoup d’informations pour ceux qui découvrent Montréal pour la première fois.
Passons maintenant aux balados qui décrivent la vie de Michel Tremblay. Pouvez-vous nous décrire ce projet?
J’avais envie de faire découvrir les quartiers par la littérature. Antoine m’a alors parlé de Marie-Ève parce qu’elle enseigne la littérature et qu’elle voulait faire des projets. Son fils est à l’école Paul Bruchési, qui célébrera son 100e anniversaire en 2022. L’école est située sur Le Plateau-Mont-Royal. Il y aura des célébrations en lien avec cet anniversaire. Or, il s’agit de l’école primaire de Michel Tremblay; sa maison d’enfance est juste à côté ainsi que le parc dans lequel il jouait et sa ruelle. L’école Paul Bruchési a montré son intérêt pour le projet, celui-ci a donc décollé.
Le projet s’adressant à un public scolaire, surtout les élèves du 3e cycle du primaire, on ne s’adresse pas à lui de la même façon qu’à un public adulte. Pour rejoindre ce public, Marie-Ève a eu l’idée de choisir un chat comme guide. C’est un chat de ruelle qui s’appelle Duplessis et qui est bleu. Nous jouons entre fiction et réalité. Fiction parce que, parfois, des personnages de Michel Tremblay apparaissent sur un balcon ou dans la ruelle, mais en même temps, ces personnages ont été inspirés de sa vie. Donc fiction ou réalité?
Ces balados sont une manière d’entrer dans la vie de Tremblay et dans sa façon de voir les choses, mais surtout d’entrer dans la vie d’un quartier, c’est ça qui est important. Le balado nous permet de mettre en lumière ce quartier qui était habité par la classe ouvrière. Il est intéressant de découvrir les femmes de cette époque ainsi que le contrôle de l’Église. La force de ce balado est qu’on peut vraiment sentir la difficulté du mode de vie de ce temps.
Vous avez bien expliqué pourquoi il s’agit d’un projet ayant un public scolaire primaire en tête. En revanche, pourquoi ne pas avoir élargi le public cible de ce projet pour le cégep par exemple, sachant que Michel Tremblay est probablement l’un des auteurs les plus lus dans ces institutions? Est-ce que ça pourrait vous intéresser éventuellement?
En fait, ce projet est pour tout le monde. C’est en réalisant ce projet que j’ai découvert l’œuvre de Tremblay, et j’ai pu constater que son œuvre est monumentale. On peut se laisser prendre au jeu à n’importe quel âge, malgré le fait que le narrateur soit un chat de ruelle.
Portrait Sonore a réalisé plusieurs autres projets fort intéressants. Parmi ceux-ci, on propose une balade qui fait découvrir à l’auditeur·rice l’histoire des arbres du Mont-Royal. Plusieurs projets sont en route, dont un projet sur une poète de Ville-Émard, qui s’adressera davantage à un public cégépien.
Pour en savoir plus sur Portrait Sonore :
Comment citer cette page :
Lapointe, G. et Brehm, S. (2022, 14 octobre). Entretien avec la fondatrice de Portrait Sonore. Lab-yrinthe. https://lab-yrinthe.ca/actualites/entretien-avec-la-fondatrice-de-portrait-sonore