Marché
par Prune Lieutier
Le marché est bien entendu l’une des préoccupations centrales du milieu de la production narrative numérique jeunesse. À ce jour, les tendances de marché en édition numérique jeunesse laissent penser que les avenues de développement sont plutôt situées dans les produits numériques complémentaires à l’édition traditionnelle (produits applicatifs ou web complémentaires, réalité augmentée, etc.), ou encore à la mise en place, pour les éditeur·rice·s, d’une image de marque séduisante pour les commanditaires traditionnels de contenus jeunesse (télédiffuseurs, musées, etc.), à la recherche d’expertises éditoriales et innovantes.
Dans ce module, nous nous efforcerons d’identifier les balises et défis du marché de la production narrative numérique jeunesse, du point de vue des éditeur·rice·s et producteur·rice·s québécois·e·s s’y étant confronté·e·s. Il est important de souligner que ces éléments sont en évolution constante.
Mots-clés : Tendances de marché ; Avenues de distribution ; Modèles d’affaires
Liens intermodules : Module scolaire ; Module métiers
Table des matières
- Les citations-clés
Des citations pertinentes issues des entretiens de recherche.
- Les observations
Les observations principales issues de la recherche, à la fois théoriques et de terrain.
- Les 5 conseils clés
Des conseils issus des observations de terrain pour soutenir les stratégies et la gestion des éditeur·rice·s.
Citations-clés
« Il y avait beaucoup de promesses du numérique il y a peut-être 5-6 ans, qui se sont beaucoup évanouies, notamment parce que le marché commercial grand public n’a pas vraiment suivi. En 2010, 2011, 2012, il y a eu beaucoup d’éditeurs qui pensaient que le numérique, c’était fantastique, que ça allait permettre d’aller chercher de nouveaux lecteurs, etc. Et ça ne s’est pas vraiment concrétisé ».
J.F. Cusson, Bibliopresto
« [Le livre numérique homothétique], c’est 0.3% de notre chiffre d’affaires. Faire des epub cela coûte très cher, il n’y a aucun débouché. On fait ça vraiment pour les collectivités québécoises, les bibliothèques mais c’est tout. Il n’y a pas d’acheteur de livres numériques ou très peu en livres jeunesses images et en bande dessinée ».
F. Gauthier, La Pastèque
« Comment veux-tu rentrer dans les écoles avec une application si tu ne sais même pas qui a des tablettes, si tu ne sais pas comment le prof va faire pour l’acheter… c’est comme perdu d’avance. Quand tu es enseignant, il y a un vrai défi, il faut vraiment que tu sois motivé pour aller tester des choses, les acheter sur ton compte personnel pour les tester, ça demande des efforts. Tu ne peux pas les emprunter en bibliothèque pour les explorer avant de les utiliser en classe, il faut que tu sois motivé. »
V. Fontaine, Fonfon
« Non seulement tu te bats contre le fait qu’il y a un milliard de choses qui existent, et en plus de ça tu te bats contre la résistance des parents et des enseignants à introduire le numérique dans leur foyer, ou dans leur classe. Ça, ça fait déjà deux gros trucs à traverser, si en plus t’es un indépendant avec peu de moyens de communications, et d’investissements en publicité… Tu pars de très très bas. »
P. Lieutier, La boite à pitons
« Si on parle des éditeurs de livre qui veulent devenir producteurs de contenu numérique, le problème c’est la stratégie de prix. Parce que nous, quand on vend un livre papier, souvent le livre numérique va être le PDF, ça va être le même prix moins 25 % ou quelque chose comme ça. Mais tu ne peux pas te retrouver avec une publication interactive à 12 dollars sur l’App Store. Il faut réfléchir aux prix selon l’appareil que tu choisis, et la plateforme sur laquelle ton contenu va être en vente pour que ce soit adapté. Puis ça a été des grandes questions qu’on a eu, la stratégie prix, qui a aussi beaucoup évolué en cours de route. Au départ c’était 5,49$, il me semble, puis on a fait un package avec les trois applications. On a essayé beaucoup de choses pour faire connaître et vendre nos applications. »
V. Fontaine, Fonfon
Les observations
Selon une recension réalisée par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), l’agence des Nations-Unies dédiée aux technologies de l’information et de la communication, fin 2013, près de 40% des habitant·e·s de la planète étaient connecté·e·s, 30% des jeunes étaient né·e·s avec le numérique et la quasi-totalité de la population mondiale était desservie par le cellulaire mobile. En 2015, 96 % des élèves de 15 ans des pays de l’OCDE indiquaient avoir un ordinateur à la maison (OCDE, 2015), et 72 % déclaraient utiliser un ordinateur de bureau, un ordinateur portable ou une tablette à l’école (OCDE, 2015).
Plus près de nous, au Québec, selon l’enquête NETendances 2017 du CEFRIO, 9 foyers québécois sur 10 étaient connectés à Internet, dont 91% étaient dotés du réseau Wifi et 66% d’une connexion avec un forfait illimité (CEFRIO, 2017). Un autre rapport américain de 2013 montre que près de 71 % des districts scolaires avaient implantés des technologies mobiles dans au moins un quart de leurs écoles (Amplify, 2013) et que les applications les plus recherchées dans ce cadre étaient les manuels numériques, les outils de création et les outils de collaboration (Games and Learning, 2014 ; Banville, 2015).
Au-delà de l’accroissement exponentiel des équipements au sein des foyers et des écoles, l’appétence pour l’usage des technologies est elle aussi en développement constant. Ainsi, selon le magazine spécialisé La Souris Grise (2014) :
« Les usages se développent naturellement dans les foyers. Aux États-Unis, Common Sense Media a mesuré qu’en 2013, 72 % des enfants âgés de 8 ans et moins avaient utilisé un outil mobile, pour jouer, consulter des applications ou regarder des vidéos. 38% des bébés de moins de deux ans sont dans le même cas. D’ailleurs, le temps d’utilisation des outils numériques a triplé chez les jeunes enfants en l’espace de deux ans (par. 10) ».
De plus, une étude menée en 2015 par The Rubicon Projet sur 1000 parents indique également qu’aux États-Unis 38% des parents ont l’intention d’acheter des produits technologiques tels que des ordinateurs portables, des tablettes et des téléphones intelligents, afin de rencontrer les besoins en éducation de leurs enfants (The Rubicon Project, 2015).
Selon le dernier rapport de tendances du Fonds des médias du Canada, publié en janvier 2019, les Canadien·ne·s auraient d’ailleurs passé en moyenne 40,5 heures par semaine sur leurs appareils électroniques en 2018 (Fonds des médias du Canada, 2019).
Ce développement de l’accès aux supports stimule le développement d’une offre numérique conséquente à l’échelle mondiale, en particulier dans les contenus dédiés à la jeunesse. Ainsi, de nombreux grands acteurs de l’industrie numérique se sont lancés dans ce créneau commercial, en sus des investissements traditionnels dans le secteur du jeune public.
Par exemple, YouTube a lancé en 2014 sa plateforme dédiée, YouTubekids, et Google a lancé en 2018 Kiddle, sa version adaptée aux jeunes publics. Le géant Huawei, spécialisé en apprentissage machine, vient de lancer l’application Storysign, destinée à la traduction de contenus jeunesse en langage des signes. Samsung a mis sur le marché une série de contenus littéraires jeunesse en réalité virtuelle, via ses dispositifs de lecture maison dans le cadre de sa marque dérivée et plateforme dédiée, Samsung Kids.
Bien qu’émergent, le secteur indépendant n’est pas en reste : Toca Boca, Busy Bee Studios, ou encore le studio québécois Tobo, prennent de plus en plus de place dans le paysage économique du média pour enfants. En 2014, Toca Boca, l’un des plus importants développeurs indépendants, a ainsi réalisé des revenus de 6.1 millions £, soit 28% de plus que l’année précédente (Dredge, 2015). Le studio Tobo a, pour sa part, développé en 2018 un volet Laboratoire soutenant ses clients dans l’expérimentation et la mise en marché de projets ludo-éducatifs numériques.
Cependant, les études de marché et le retour des producteur·rice·s ne confirment pas le transfert de cette tendance générale au milieu de l’édition. Par ailleurs, notre recherche souligne l’absence de sources de veille adéquates pour les éditeur·rice·s jeunesse sur les potentiels et réalités de marché ainsi que la difficulté d’appréhender les réalités de distribution des différents supports et systèmes d’exploitation.
Observation 1. Inadéquation des promesses du numérique au regard des réalités de marché en édition jeunesse
Dans le domaine littéraire, la production et la mise en marché de livres numériques interactifs, en particulier sous la forme epub (un format permettant l’intégration d’animations et interactions légères, ainsi que de musiques et effets sonores) sont de plus en plus fréquentes, soulignant du même coup la « mutation irréversible » du livre (Bon, 2011 ; Benhamou, 2012).
Cette tendance est également présente dans le secteur jeunesse. En effet, les données de marché liées au numérique jeunesse développent, bien entendu, chez les producteur·rice·s et créateur·rice·s de contenus, le sentiment d’un « eldorado » du numérique, un secteur dans lequel « il faut être », pour ne pas « manquer le bateau », comme nous avons pu l’entendre à plusieurs reprises dans le cadre des entretiens menés à l’occasion de notre recherche.
Plusieurs des personnes interrogées évoquent d’ailleurs le fait de « s’être intéressées au numérique dès l’apparition du premier iPad » ou d’avoir « envie de faire du numérique, pour explorer de nouvelles formes ».
Véronique Fontaine, de la maison d’édition Fonfon, ajoute : « c’était un désir que j’avais depuis longtemps, avec comme inspiration le studio Nosy Crow. Il faisat des contes classiques, c’était vraiment bien fait, c’était beau, il y avait de la musique, de l’animation et de l’interactivité ».
Ces témoignages peuvent être liés aux observations d’autres recherches empiriques qui relèvent notamment, chez les éditeur·rice·s, la perception d’une avenue de développement émergeant du « pouvoir de séduction qu’exercerait selon eux la tablette auprès des digital natives », et ce, malgré un « décalage entre la promesse et la réalité » (Tréhondart, 2016). Il est cependant important de rappeler ici que notre recherche s’intéresse essentiellement aux productions numériques non-homothétiques de littérature jeunesse.
De grands médias (France Télévisions, Télé-Québec, Sésame Street ou encore Arte) investissent dans le développement de nouveaux formats de production et de diffusion sous la forme de livres interactifs numériques, et de nombreux éditeur·rice·s d’envergure internationale ont fait le passage au numérique.
Cependant, il est important de souligner qu’à travers cette production numérique de livres interactifs, peu d’œuvres jeunesse exploitent à leur plein potentiel les possibilités offertes par les nouvelles technologies : dans leur grande majorité, elles ne proposent que des interactions et animations limitées et n’intègrent que rarement des avenues telles que la réalité augmentée, le 360 degrés, les effets de parallaxe ou autres.
Au Québec, s’il existe bien quelques exemples notables ‒ Wuxia le renard, de Jonathan Bélisle (2014), les productions de l’entreprise La boîte à pitons (Fonfon interactif, 2016; Le Club des créatures mystérieuses, 2017), Miniminus (2017) ou encore le projet Tout garni (2017) de la maison d’édition La Pastèque ‒, peu de maisons d’éditions se sont lancées dans des productions numériques dépassant le simple livre homothétique.
Observation 2. iOS / Android, le choix impossible
Les plateformes App Store et Google Play, plateformes majeures de distribution pour les livres-applicatifs jeunesse, « noient » les applications à travers un océan de publications permettant une recherche par filtre relativement limitée.
Pour donner une idée de la masse de contenus disponibles sur ces plateformes, Apple a annoncé en 2018 la présence de plus de 2,2 millions d’applications disponibles sur leur magasin en ligne. Son seul et unique concurrent sur le marché des « stores » d’application est Google Play, développé par Google et destiné aux téléphones Android (Mediavilla, 2018). Il compte près de 3 millions d’applications disponibles. Et ces chiffres sont en évolution constante.
Selon l’institut de statistiques Statista, en effet, en une dizaine d’années (Apple ayant lancé sa plateforme en 2008, et Google en 2007), le nombre d’applications disponible est passé de quelques dizaines de milliers (500 seulement le jour du lancement de la plateforme App Store, comme le rappelle le magazine Les Échos (Mediavilla, 2018)), au chiffre actuel (Statista, 2017), une tendance qu’il ne serait pas surprenant de continuer à voir évoluer dans les années à venir, en particulier au regard du développement des appareils mobiles au sein des foyers.
Au cours de l’année 2017, il est intéressant de noter que l’App Store a connu une diminution de 5 % du nombre d’applications mobiles disponibles, du fait du « grand ménage » opéré par Apple. Par contre, comme le notait en 2018 le magazine spécialisé Clubic :
« Google Play, le marché d’applications d’Android, a fortement grossi (+30 %) sur la même période, passant de 2,8 à 3,6 millions d’applications recensées. L’écart en nombre de nouveautés apparues l’an dernier est aussi spectaculaire : 755 000 sur l’App Store (-29 % par rapport à 2016) contre 1,6 million sur Google Play (+17 % sur la même période). Mais le contraste s’explique par le fait qu’Android a accueilli de nombreux portages d’applications ayant fait leur preuve sur iOS ».
Paulson (2018)
Cette augmentation, qui permet de donner une bonne mesure du développement généralisé de la production et de l’accès aux contenus numériques, pose bien sûr le problème de la découvrabilité et des stratégies de distribution des contenus québécois indépendants dans l’univers numérique.
De surcroît, parmi l’ensemble de ces applications, les deux géants Apple et Google révélaient qu’en 2016, les applications de la catégorie « Éducation » représentaient 8,5% des ventes sur App Store et 8,9% des ventes sur Google Play (Statista, 2017).
À titre de comparaison, pour cette même année, les applications catégorisées comme « Jeux » représentaient 31% des téléchargements sur App Store (mais 75% des revenus de l’écosystème) (Médiavilla, 2018).
Les données semblent, par contre, non disponibles pour Google Play. Il est ici intéressant de noter le flou imposé de certaines des catégories de l’App store et de Google Play : entre les catégories suscitées par exemple, laquelle devrait choisir un·e éditeur·rice jeunesse ou un·e producteur·rice qui désirerait télécharger une application ludo-éducative, pour une plus grande visibilité et un accès le plus direct à ses publics cibles?
La solution pour sortir du lot au sein de ces plateformes mais aussi, a fortiori, de l’univers des contenus en ligne de manière générale, est donc tout naturellement le développement d’avenues d’accès direct aux publics, à travers des stratégies de mise en marché adéquates et bien pensées et des promotions pertinentes au regard des publics visés.
Mais, là aussi, le bât blesse : les budgets promotionnels sont conséquents, souvent trop importants pour des éditeur·rice·s indépendant·e·s qui peinent à investir sur des projets dont ils·elles ne peuvent garantir la rentabilité et, par ailleurs, les avenues naturelles de découvrabilité sont, dans le domaine du livre numérique interactif jeunesse non-homothétique, quasiment inexistantes.
[Note : pour plus d’infos sur la problématique de la découvrabilité, consultez notre module dédiée au sujet.]
Observation 3. L’enjeu de la distribution pour les publics scolaires et les bibliothèques
[Note préliminaire : pour les producteur·rice·s plus largement intéressé·e·s par une mise en marché auprès des publics scolaires, l’ensemble de ces analyses est complété par le module Scolaire de ce projet.]
En édition jeunesse, la distribution au sein des marchés scolaires et dans les réseaux de bibliothèque reste aujourd’hui encore une avenue essentielle de la mise en marché d’un ouvrage. Or, dans le domaine numérique, ces marchés sont très difficiles d’accès, pour des raisons à la fois techniques et contextuelles.
Aussi, l’accès aux marchés scolaires, tout du moins québécois, semble poser de nombreuses difficultés aux éditeur·rice·s jeunesse et producteur·rice·s numériques qui souhaiteraient y diffuser leurs œuvres numériques.
En premier lieu, et cela a été abordé par de nombreux·ses professionnel·le·s au cours de notre recherche, la grande diversité des réalités scolaires rend difficile d’anticiper les modes d’utilisation par les personnes enseignantes au sein de leurs classes.
Certains enseignant·e·s disposent en effet d’un parc significatif d’équipements, allant jusqu’à plusieurs tablettes pour les élèves au sein de leur classe, en complément d’un tableau blanc interactif ou encore d’ordinateurs portables.
D’autres, au contraire, n’ont accès qu’à un tableau blanc interactif, voire ne disposent d’aucun équipement technologique. Cette disparité est également visible dans les niveaux de formation des enseignant·e·s en ce qui a trait au numérique ainsi que dans leur intérêt pour les contenus technologiques en support à leur enseignement.
Nous aborderons de manière plus exhaustive les modes d’appropriations des contenus littéraires numériques et interactifs non homothétiques par les enseignant·e·s québécois·e·s dans une autre section du site, mais il nous semblait nécessaire de souligner ici l’impact que cette disparité peut avoir sur la conception comme la planification de la distribution pour les éditeur·rice·s jeunesse et producteur·rice·s numériques.
Jean-François Cusson, de Bibliopresto (qui, il est important de le signaler, ne distribue pas d’applications mais plutôt des PDF et epub, et a une mission de service public), résume bien ces disparités :
« En même temps, on se rend compte que dans les écoles, toute la question des appareils, au niveau de la lecture, c’est très très diversifié. Dans des écoles, ben, ils vont avoir, certaines écoles vont avoir des parcs à iPad, dans d’autres, ça fait partie du matériel scolaire que les parents doivent acheter, il y a beaucoup d’écoles maintenant avec des ChromeBook, etc. Il faut que l’on soit capable de travailler avec tout. Parce que si l’on arrive avec quelque chose qui est trop précis, nécessairement, ça exclut plein de monde. Pis on est dans un contexte d’école publique, donc il faut que ce qu’on met en place puisse être utilisable, fonctionnel, dans un milieu défavorisé, dans un milieu plus favorisé, à Montréal, en région… ».
De surcroît, et nous y reviendrons plus loin dans ce module, les enseignant·e·s disposent de peu d’avenues de découverte ou de recommandations concernant les contenus numériques, ce qui les oblige, pour celles et ceux qui souhaitent s’y intéresser, à effectuer des recherches ciblées, sur leur temps et leur budget personnels. De ce fait, il est encore aujourd’hui très complexe, long et coûteux, en l’absence d’avenues centralisées d’achats et de recommandations pour le personnel enseignant, de distribuer au sein des marchés scolaires.
Jonathan Bélisle, producteur de Wuxia le renard, partage ainsi :
« [Au Québec], tous les enseignants me disaient… tu es sur quelque chose ! Mais je n’étais pas dans le bon rythme. […] J’ai connu tous les blocages. Et puis, je suis allé en Ontario. L’Ontario, c’est un autre système. En Ontario, je suis allé voir TFO, qui ont le droit de distribuer les livres dans les écoles. Ici ils n’auraient pas le droit. Par exemple, Radio Canada ne peut pas distribuer un livre, il faut qu’il y ait un distributeur, etc… c’est un autre système. Une journée, j’ai rencontré toutes les commissions scolaires, une semaine après, j’étais dans toutes les écoles. J’étais comme, wow ! Il y a vraiment un système… ».
Télé-Québec, opérateur majeur pourtant extrêmement reconnu pour ses productions pédagogiques, confirme ce sentiment :
« On sait pertinemment que notre prochain défi ça va être comment amener ça à l’école. On y réfléchit vraiment beaucoup. On a rencontré beaucoup de gens. L’enseignant est maître dans sa classe et c’est une excellente chose. Je pense que cette liberté-là, elle est nécessaire puisqu’elle rencontre la réalité de la région, la réalité de la classe, la réalité du milieu. Je pense qu’y faut avoir ça mais ça fait que on a l’impression de devoir aller frapper à chacune des portes pour être capable d’introduire nos produits pis d’en montrer la pertinence ».
Ici aussi, les équipes de La boîte à pitons ont eu cette impression lors de leurs mises en marché :
« Comment veux-tu rentrer dans les écoles avec une application si tu ne sais même pas qui a des tablettes, si tu ne sais pas comment le prof va faire pour l’acheter… c’est comme perdu d’avance. Quand tu es enseignant, il y a un vrai défi, il faut vraiment que tu sois motivé pour aller tester des choses, les acheter sur ton compte personnel pour les tester, ça demande des efforts. Tu ne peux pas les emprunter en bibliothèque pour les explorer avant de les utiliser en classe, il faut que tu sois motivé ».
Par ailleurs, les bibliothèques, et ce, même si depuis quelques années s’y développent de manière exponentielle des heures du conte numériques, des ateliers d’initiation ou encore la présence de tablettes dans les locaux pour consultation sur place d’applications sélectionnées, ne sont pas encore en mesure, pour des raisons techniques, de prêter des applications ou contenus autres que des livres numériques homothétiques. En effet, les systèmes d’exploitation iOS comme Android n’offrent pas cette possibilité, bloquant du même coup toute possibilité pour les éditeur·rice·s de développer leur marché en ce sens.
Les 5 conseils-clés
Conseil #1
Penser la distribution et la mise en marché dès l’étape de pré-conception du projet et aiguiller les choix de plateformes et supports de déploiement en fonction de l’intention créative et des publics visés.
Conseil #2
Intégrer au sein des équipes de travail des professionnel·le·s de la mise en marché, afin de valider à chaque étape l’adéquation des choix technologiques et créatifs aux intentions de commercialisation.
Conseil #3
S’assurer de consulter régulièrement des sources de veille telles que le Fonds des médias du Canada ou les ressources de l’ANEL pour appuyer les choix stratégiques.
Conseil #4
Mettre en place des focus groups de potentiel·le·s utilisateur·rice·s (grand public, enseignant·e·s, médiateur·rice·s culturel·le·s, etc.) afin de sonder les réalités de consommation et d’usage dès la phase de pré-conception du projet.
Conseil #5
Budgétiser adéquatement les dépenses de mise en marché et de promotion, des dépenses souvent minorées dans les programmes publics de financement, afin de s’assurer de garantir un impact important aux œuvres produites.
Comment citer cette page :
Lieutier, P. (2021, 12 avril). Marché. Lab-yrinthe. https://lab-yrinthe.ca/edition/technique